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L’image de Païkan se dressa entre elle et le garde. Eléa sauta sur ses pieds.
— Eléa !
— Païkan !
Il était debout dans la coupole de travail. Elle voyait près de lui un fragment de la tablette et l’image d’un nuage.
— Eléa ! Où es-tu ? Où vas-tu ? Pourquoi me quittes-tu ?
— J’ai refusé, Païkan ! Je suis à toi ! Je ne suis pas à eux ! Coban m’a obligée ! Ils me retiennent !
— Je viens te chercher ! Je briserai tout ! Je les tuerai !
Il brandit sa main gauche enfoncée dans l’arme.
— Tu ne peux pas ! Tu ne sais pas où je suis !... Je ne le sais pas non plus ! Attends-moi. je te reviendrai ! Par tous les moyens !...
— Je te crois, j’attends, dit Païkan.
L’image disparut.
Le garde, toujours assis, regardait Eléa. Debout au centre de la pièce ronde, elle le regardait et l’évaluait. Elle fit un pas vers lui. Il saisit le masque qu’il portait en sautoir et se le plaqua sur le nez.
— Attention ! dit-il d’une voix nasillarde.
Il remua légèrement, avec précaution, l’entrelacs fragile des tubes de verre.
— Je te connais, dit-elle.
Il la regarda avec surprise.
— Toi et tes pareils, je vous connais. Vous êtes simples, vous êtes braves. Vous faites ce qu’on vous dit, on ne vous explique rien.
Elle fit glisser l’extrémité de la bande bleue qui lui enveloppait le buste, et elle commença à la dérouler.
— Coban ne t’a pas dit que tu allais mourir...
Le garde eut un petit sourire. Il était garde, il était dans les Profondeurs, il ne croyait pas à sa propre mort.
— Il va y avoir la guerre et il n’y aura pas de survivants. Tu sais que je dis la vérité : tu vas mourir. Vous allez tous mourir, sauf moi et Coban.
Le garde sut que cette femme ne mentait pas. Elle n’était pas de celles qui s’abaissent à mentir, quelles que soient les circonstances. Mais elle devait se tromper, il y a toujours des survivants. Les autres meurent, pas moi.
Maintenant sa taille était nue, et elle commençait à défaire la bande en diagonale de la taille à l’épaule.
— Tout le monde va mourir en Gondawa. Coban le sait. Il a construit un Abri que rien ne peut détruire, pour s’y enfermer. Il a chargé l’ordinateur de choisir la femme qu’il enfermera avec lui. Cette femme, c’est moi. Sais-tu pourquoi l’ordinateur m’a choisie parmi des millions ? Parce que je suis la plus belle. Tu n’as vu que mon visage. Regarde...
Elle dénuda son sein droit. Le garde regarda cette chair merveilleuse, cette fleur et ce fruit, et il entendit le bruit du sang dans ses oreilles.
— Tu me veux ? dit Eléa.
Elle continuait lentement de découvrir son buste. Son sein gauche était encore à demi cerné d’étoffe.
— Je sais quel genre de femme l’ordinateur t’a choisie. Elle pèse trois fois mon poids. Une femme comme moi, tu n’en as jamais vue...
La bande tout entière glissa sur le sol, délivrant le sein gauche. Eléa laissa ses bras pendre le long de son corps, les paumes de ses mains à demi tournées en avant, les bras un peu écartés, offrant son buste nu, la splendeur vivante des seins mesurés, pleins, doux, glorieux.
— Avant de mourir, tu me veux ?
Elle releva la main gauche et, d’un seul geste, fit tomber son vêtement des hanches.
Le garde se leva, posa sur le cube le redoutable, fragile, menaçant objet de verre, arracha son masque et sa tunique. Assemblage parfait de muscles équilibrés et puissants, son torse nu était magnifique.
— Tu es à Païkan ? dit-il.
— Je lui ai promis : par tous les moyens.
— Je t’ouvrirai la porte et je te conduirai dehors.
Il ôta sa jupe. Ils étaient debout, nus, l’un devant l’autre. Elle recula lentement et, quand elle eut le tapis sous ses pieds, elle s’accroupit et s’allongea. Il s’approcha, puissant et lourd, précédé par son désir superbe. Il se coucha sur elle et elle s’ouvrit.
Elle le sentit se présenter, noua ses pieds dans ses reins et l’écrasa sur elle. Il entra comme une bielle. Elle eut un spasme d’horreur.
— Je suis à Païkan ! dit-elle.
Elle lui enfonça ses deux pouces à la fois dans les carotides.
Il suffoqua et se tordit. Mais elle était forte comme dix hommes, et le tenait de ses pieds crochetés, de ses genoux, de ses coudes, de ses doigts enfoncés dans ses cheveux tressés. Et ses pouces inexorables, durcis comme de l’acier par la volonté de tuer, lui privaient le cerveau de la moindre goutte de sang.
Ce fut une lutte sauvage. Enlacés, noués l’un à l’autre et dans l’autre, ils roulaient sur le sol dans tous les sens. Les mains de l’homme s’accrochaient aux mains d’Eléa et tiraient, essayaient d’arracher la mort enfoncée dans son cou. Et le bas de son ventre voulait vivre encore, vivre encore un peu, vivre assez pour aller au bout de son plaisir. Ses bras et son torse luttaient pour survivre, et ses reins et ses cuisses luttaient, se hâtaient pour gagner la mort de vitesse, pour jouir, jouir avant de mourir.
Une convulsion terrible le raidit. Il s’enfonça jusqu’au fond de la mort accrochée autour de lui et y vida, dans une joie fulgurante, interminablement, toute sa vie. La lutte s’arrêta. Eléa attendit que l’homme devînt entre elle passif et pesant comme une bête tuée. Alors elle retira ses pouces enfoncés dans la chair molle. Ses ongles étaient pleins de sang. Elle ouvrit ses jambes crispées et se glissa hors du poids de l’homme. Elle haletait de dégoût. Elle aurait voulu se retourner comme un gant et laver tout l’intérieur d’elle-même jusqu’aux cheveux. Elle ramassa la tunique du garde, s’en frotta le visage, la poitrine et le ventre, la rejeta souillée, et s’habilla rapidement.
Elle s’appliqua le masque sur le nez, prit la fragile construction de verre, et, avec précaution, poussa la porte. La porte s’ouvrit.
Elle donnait dans le laboratoire où Eléa avait reçu la préparation. Le chef-labo et deux laborantins étaient penchés vers une table. Un garde armé était debout devant une porte. Il vit Eléa le premier. Il fit :
— Hé !
Il leva la main pour mettre son masque.
Eléa jeta l’objet de verre à ses pieds. Il se brisa sans bruit. Instantanément, la pièce fut pleine d’une brume verte. Le garde et les trois hommes en robe saumon s’affaissèrent sur eux-mêmes.
Eléa se dirigea vers la porte, et prit les armes du garde.
Je ne suis pas un adolescent romanesque. Je ne suis pas une brute congestionnée gouvernée par son estomac et son sexe. Je suis raisonnablement raisonnable, sentimental et sensuel, et capable de maîtriser mes émotions et mes instincts. J’ai pu rapidement supporter la vision de ta vie la plus intime, j’ai pu supporter de voir cette brute se coucher sur toi et entrer dans les merveilles de ton corps. Ce qui m’a bouleversé, c’est ce que j’ai lu sur ton visage.