124274.fb2
— Je veux voir Coban, dit Païkan.
— Je vais lui faire savoir que vous êtes là. Vous allez attendre.
— J’accompagne Eléa, dit Païkan.
— Je suis à Païkan, dit Eléa.
Il y eut un silence, puis l’homme reprit :
— Je vais prévenir Coban... Avant de le voir, Eléa doit passer le test général. Voici la cabine...
Il ouvrit une porte translucide. Eléa reconnut la cabine standard dans laquelle tous les vivants de Gondawa s’enfermaient au moins une fois l’an pour connaître leur évolution physiologique et modifier, le cas échéant, leur activité et leur nourriture.
— Est-ce nécessaire ? dit-elle.
— C’est nécessaire.
Elle entra dans la cabine et prit place sur le siège.
La porte se referma, les instruments s’allumèrent autour d’elle, des éclairs de couleurs jaillirent devant son visage, les analyseurs ronronnèrent, le synthétiseur claqua. C’était terminé. Elle se leva et poussa la porte. La porte resta fermée. Surprise, elle poussa plus fort, sans résultat.
Elle appela, inquiète :
— Païkan !
De l’autre côté de la porte, Païkan cria :
— Eléa !
Elle essayait encore d’ouvrir, elle devinait qu’il y avait dans cette porte fermée quelque chose de terrible. Elle cria :
— Païkan ! La porte !
II se lança. Elle vit sa silhouette s’écraser contre le panneau translucide. La cabine fut ébranlée, des instruments brisés tombèrent au sol, mais la porte ne céda pas.
Dans le dos d’Eléa, la cloison de la cabine s’ouvrit.
— Venez, Eléa, dit la voix de Coban.
DEUX femmes étaient assises devant Coban. L’une était Eléa. L’autre, brune, très belle, plus ronde de formes, plus opulente. Eléa était l’équilibre dans la mesure parfaite, l’autre était le déséquilibre qui donne l’élan vers la richesse. Pendant qu’Eléa protestait, réclamait Païkan, exigeait de le rejoindre, l’autre s’était tue, la regardant avec calme et sympathie.
— Attendez, Eléa, dit Coban, attendez de savoir.
Il portait la sévère robe saumon des laborantins, mais l’équation de Zoran, sur sa poitrine, était imprimée en blanc. Il marchait de long en large, pieds nus comme un étudiant, entre ses tables-pupitres et le mur à alvéoles qui contenait plusieurs dizaines de milliers de bobines de lecture.
Eléa se tut, trop positive pour s’entêter dans un effort inutile. Elle écouta.
— Vous ne savez pas, dit Coban, ce qui occupe l’emplacement de Gonda 1. Je vais vous le dire. C’est l’Arme Solaire. Malgré mes protestations, le Conseil est décidé à l’utiliser si Enisoraï nous attaque. Et Enisoraï est décidé à nous attaquer pour détruire l’Arme Solaire avant que nous l’utilisions. Etant donné sa complexité et l’énormité de ses dimensions, il faudra presque une demi-journée entre le déclenchement du processus de départ et le moment où l’Arme sortira de son logement. C’est pendant cette demi-journée que se jouera le sort du monde. Car si l’Arme s’envole et frappe, ce sera comme si le Soleil lui-même tombait sur Enisoraï. Enisoraï brûlera, fondra, coulera... Mais la Terre entière subira le choc en retour. Que restera-t-il de nous après quelques secondes ? Que restera-t-il de la vie ?...
Coban s’arrêta. Son regard tragique passait au-dessus des deux femmes. Il murmura :
— Peut-être rien... plus rien...
Il reprit sa promenade d’animal prisonnier qui cherche en vain une issue.
— Et si les Enisors réussissent à empêcher le départ de l’Arme, dit-il, ils la détruiront, et nous détruiront aussi. Ils sont dix fois plus nombreux que nous, et plus agressifs. Nous ne pourrons pas résister à leur multitude. Notre seule défense contre eux était de leur faire peur. Mais nous leur avons fait TROP PEUR !...
« Ils vont attaquer avec tous leurs moyens et, s’ils gagnent, ils ne laisseront rien d’une race et d’une civilisation capables de fabriquer l’Arme Solaire. C’est pourquoi la Graine Noire a été distribuée aux vivants de Gondawa. Pour que les prisonniers choisissent, s’ils le veulent, de mourir de leur propre main plutôt que sur les bûchers d’Enisoraï... »
Eléa se dressa, combative.
— C’est absurde ! C’est affreux ! C’est immonde ! On doit pouvoir empêcher cette guerre ! Pourquoi ne faites-vous pas quelque chose, au lieu de gémir ? Sabotez l’Arme ! Allez en Enisoraï ! Ils vous écouteront ! Vous êtes Coban !
Coban s’arrêta devant elle, la regarda gravement, avec satisfaction.
— Vous avez été bien choisie, dit-il.
— Choisie par qui ? Choisie pour quoi ? Il ne répondit pas à ces questions, mais à la précédente.
— Je fais quelque chose. J’ai des émissaires en Enisoraï, qui ont pris contact avec les savants du District de Connaissance. Eux comprennent les risques de la guerre. S’ils peuvent prendre le pouvoir, la paix sera sauvée. Mais il reste peu de temps. J’ai rendez-vous avec le président Lokan. Je vais essayer de convaincre le Conseil de renoncer à l’usage de l’Arme Solaire, et de le faire savoir à Enisoraï. Mais j’ai contre moi les militaires, qui ne pensent qu’à la destruction de l’ennemi, et le ministre Mozran, qui a construit l’Arme et qui a envie de la voir fonctionner !... »
« Si j’échoue, j’ai fait encore autre chose. Et c’est pour cela que vous avez été choisies, vous deux, et trois autres femmes de Gondawa. Je veux SAUVER LA VIE. »
— La vie de qui ?
— La vie tout court, LA VIE !... Si l’Arme Solaire fonctionne pendant quelques secondes de plus qu’il n’a été prévu, la Terre sera ébranlée à un point tel que les océans sortiront de leurs fosses, les continents se fendront, l’atmosphère atteindra la chaleur de l’acier fondu et brûlera tout jusque dans les profondeurs du sol. On ne sait pas, on ne sait pas où s’arrêteront les désastres. A cause de sa puissance effrayante, Mozran n’a jamais pu essayer l’Arme, même à échelle réduite. On ne sait pas, mais on peut prévoir le pire. C’est ce que j’ai fait...
— Ecoutez, Coban, dit une voix, voulez-vous connaître les nouvelles ?
— Oui, dit Coban.
— Voici : les troupes énisores en garnison sur la Lune ont envahi la zone internationale. Un convoi militaire parti de Gonda 3 vers notre zone lunaire a été intercepté par des forces énisores avant son alunissage. Il a détruit une partie des assaillants. La bataille continue. Nos services d’observation lointaine ont la preuve qu’Enisoraï a rappelé ses bombes nucléaires mises en orbite autour du Soleil, et les ramène vers Mars et la Lune. Ecoutez, Coban, c’est terminé.
— C’est commencé... dit Coban.
— Je veux retourner auprès de Païkan, dit Eléa. Vous ne nous laissez d’autre espoir que mourir, ou mourir. Je veux mourir avec lui.
— Je fais quelque chose, dit Coban.
« J’ai fait un abri qui résistera à tout. Je l’ai garni de semences de toutes sortes de plantes, d’ovules fécondés de toutes sortes d’animaux et d’incubateurs pour les développer, de dix mille bobines de connaissance, de machines silencieuses, d’outils, de meubles, de tous les échantillons de notre civilisation, de tout ce qu’il faut pour en faire renaître une semblable. Et au centre, je placerai un homme et une femme. L’ordinateur a choisi cinq femmes, pour leur équilibre psychique et physique, pour leur santé et leur parfaite beauté. Elles ont reçu les numéros 1 à 5 par ordre de perfection. La n° 1 est morte avant-hier dans un accident. La n° 4, en voyage en Enisoraï, ne peut pas en revenir. La n° 5 habite Gonda 62. Je l’ai envoyée chercher aussi. Je crains qu’elle ne soit pas ici à temps. La n° 2, c’est vous, Lona, la n° 3, c’est vous, Eléa. »
Il se tut une seconde, eut une sorte de sourire fatigué, se tourna vers Lona, et reprit :
— Naturellement, il n’y aura qu’une femme dans l’Abri. Ce sera vous, Lona. Vous vivrez...
Lona se leva, mais avant qu’elle ait eu le temps de parler, une voix la devança :